JLS # 4 – Article: “Butô la danse du vide”
Fait amusant je suis tombée en écrivant l’article sur deux vidéos qui avaient été prises lors des cours de Juju Alishina, vous y reconnaîtrez peut être un petit Camélia apprenant à danser 😉
(et ce devait être parmi mes tous premiers cours de butô! )
Vidéo 1 & Vidéo 2
Enfin si vous voulez voir les photos en plus haute définitions pour parcourir le texte : Rendez-vous ici
J’espère que ces articles vous auront plus, et que j’aurais d’autres occasions d’écrire pour la revue. En attendant vous pouvez retrouver mes brèves quasi quotidienne sur le site web de Japan Lifestyle
Buto la danse du vide
Présentation:
舞 – Bu: Danse
踏 – Tô: Pas/ Marche/ Fouler aux pieds
Le butô 舞踏 est donc littéralement une danse où l’on frappe des pieds !
Pour beaucoup de personnes, le butô n’est pas considéré comme une danse, mais semble plutôt être une forme de théâtre étrange. Une espèce d’interprétation grotesque où de simples corps nus, le crâne rasé et peints intégralement de blanc, grimacent et s’agitent de façon frénétique.
Cette image est tenace et pour comprendre d’où elle vient, ou essayer d’apprivoiser un tant soit peu l’essence même du butô, il faut remonter au Japon d’après la seconde guerre mondiale.
Naissance :
Dans les années soixante, après avoir perdu la seconde guerre mondiale le Japon meurtri par les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki a du mal à faire face à la honte de la défaite. Révolté contre la société matérialiste qui se met alors en place, et rejetant violemment l’intronisation de la culture américaine subie pendant une dizaine d’année, une poignée d’artistes d’avant garde influencés par les mouvements européen du surréalisme, du dadaïsme et de l’expressionnisme allemand commence à s’interroger sur une nouvelle identité Japonaise lié à la prise de conscience.
C’est dans ce contexte qu’en 1959 Tasumi Hijikata, secondé par le jeune Yoshihito Ohno (fils de Kazuo Ohno) interprètent Kinjiki (les amours interdites), une chorégraphie courte et sans musique basée sur le roman du même nom de Yukio Mishima, mimant à l’aide d’un poulet l’acte sexuel et son interdit. Si la scène provoqua un immense scandale et fut considérée comme pornographique, c’est avant tout parce qu’elle osait aborder le thème de l’homosexualité masculine, qui était un sujet plus que tabou dans la société japonaise de l’époque. Le chorégraphe se voit banni du festival des jeunes danseurs où fut présentée la pièce, mais il reçut néanmoins le soutien du romancier, ce qui favorisa l’intérêt des avant-gardistes pour cette nouvelle forme de danse. Le butô venait de naître.
Philosophie du butô :
Plus qu’une danse créée en réaction à la forte influence des ballets classiques occidentaux et leur académisme, et face à des arts traditionnels comme le nô ou le kabuki, incapables d’intégrer les nouvelles problématiques de cette société en mutation, le butô est une anti-danse. Il ne cherche pas à imiter ou à générer des états d’âmes particulier, il est simplement la vie et son mouvement, atemporels et universels. Le butô, en s’ancrant dans la vie, nous invite à retrouver le rapport authentique à soi-même, au corps, et le sens du réel.
Si le butô rompt avec les arts scéniques en vigueur, il ne se détache pourtant pas tout à fait d’une certaine tradition. C’est une sorte de retour aux sources, comme on en voit dans les danses Kagura présentes lors des cérémonies shintoïstes ou les invocations bouddhiques. En frappant du pied le sol, on en fait jaillir les esprits, dans une danse qui permet de communiquer avec la terre et les ténèbres, sorte de pont entre le monde des vivants et celui des morts, à ce moment là où tout ne fait qu’un.
C’est également un retour au “vrai Japon”, celui de la terre, ce Japon parfois méprisé par les élites, mais qui pourtant par son agriculture supporte discrètement l’ensemble du pays. Beaucoup de danseurs de l’époque étaient issu de ces provinces et revendiquaient fièrement leur ruralité. Tatsumi Hijikata avouera s’inspirer des gestes quotidiens des paysans dans leur rizières, des femmes âgées, des prostituées voire même de sa soeur handicapée pour façonner sa danse.
Différentes écoles : Trois générations de danseurs
S’il est possible de dresser certains points communs au sein de la grande famille du butô, il est cependant impossible de définir précisément ce qu’il est, car il n’existe pas un seul butô mais autant de butô que de danseurs…
Depuis sa création en 1959, le butô a beaucoup évolué après deux générations de talentueux danseurs dont nous pourrions citer : Yoshito Ohno (fils de Kazuo Ohno) Tomiko Takai, Yoko Ashikawa, Sankai Juku, Natsu Nakajima ou Carlotta Ikeda… la nouvelle génération semble inventer une nouvelle forme de butô.
Aujourd’hui le butô tient une place paradoxale car s’il est largement reconnu à l’étranger, il reste assez confidentiel et méconnu dans son propre pays. Le butô actuel est une sorte de mélange entre le celui des origines inventé par Hijikata et la danse contemporaine occidentale, subissant les influences et fantaisies de ces pays d’adoption, pour le meilleur comme pour le pire.
Délaissant de temps à autre le discours politique, il semble à présent porter essentiellement l’attention sur le mouvement lui même.
Aujourd’hui il ne s’agit pas d’imiter le mouvement, mais plutôt d’abandonner les gestes appris issus des codes et des repères sociaux en vigueur, afin de retrouver un mouvement naturel et essentiel, volontairement dénué de tout artifice. Le butô révèle son talent de l’intérieur, c’est un travail intime qui renforce la personne du danseur, au fur et à mesure qu’il prend conscience de ses propres ressources et de ses possibilités d’actions sur le monde extérieur. Cherchant alors à agir avec son environnement sans être happé par celui-ci, une osmose se crée. Tour à tour végétal, animal, minéral ou humain, le danseur est tout le danseur n’est rien, il est en constante transformation ; le butô c’est la célébration de la vie et de ces cycles immuables, mais surtout c’est la métamorphose elle même qui est au coeur de la danse.
Pour finir citons le danseur Murobushi Ko décédé en juin dernier qui rappelait volontiers que : “la danse butô ne mène à aucune transe, ne tend vers aucun avenir, mais elle fait ouvrir les yeux sur ce qui est toujours là, la relation intime entre le corps et la nature, émanation du chaos originel.”
Actualité Française:
Aujourd’hui, en France le butô fait partie intégrante des arts de la danse présentés sur scène.
La Maison de la Culture du Japon à Paris (tout comme certaines écoles de langues) accueille d’ailleurs régulièrement des danseurs venus des quatre coins de la planète présenter leur spectacle, organise des conférences et des rencontres comme avec Maï Ishiwata ou la compagnie Dairakurada reçus cette année.
Le butô s’est tellement bien implanté en France qu’aujourd’hui il est même possible d’assister à des cours comme l’on suivrait une classe de modern jazz ou de classique.
Juju Alishina est une danseuse et chorégraphe de butô résidant en France depuis 1998, qui a créé sa propre compagnie : Danse Compagnie NUBA à Paris, et qui enseigne dans plusieurs écoles. Elle donne également des stages un peu partout dans le pays, tout comme certains grand noms de la danse butô faisant spécialement le déplacement en France pour animer des ateliers consacrés à cette danse qui n’en finit pas de nous fasciner. Enfin, pour ceux qui ne peuvent suivre ses cours elle a également écrit en 2013 un livre intitulé “Le corps prêt à danser”. Fruit de l’expérience d’une carrière de plus de trente ans dans le monde de la danse, cet ouvrage sur le travail du corps, assez complet mais pas non plus inaccessible pour les débutants, permet d’aborder un grand nombre des pistes qu’un danseur doit explorer s’il veut un jour atteindre les plus haut niveaux artistiques.
Dans une interview accordée au moment de la sortie de son livre, la chorégraphe avoue souhaiter apporter la danse japonaise et en particulier le butô à la portée de tous .
La preuve en est que peu à peu le butô gagne ses lettres de noblesse, et qu’il a encore de beaux jours à vivre en occident comme en orient.
- Ophélie Camélia