Ce week-end, la danseuse Shimehiro Nishikawa était à la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP), pour animer une conférence sur l’influence du Nihon-Buyô sur la littérature Japonaise, ainsi qu’un atelier d’initiation à la Danse traditionnelle Japonaise.

La conférence “Du Nihon-Buyô au Roman” portait sur le personnage de Wan.ya Kyûemon. Riche commerçant d’Osaka, aussi connu sous le nom de Wankyû, il aurait vécu au XVIIe siècle et se livra à d’extravagantes dépenses par amour pour la courtisane de haut rang Matsuyama, au point qu’il finit par mourir ruiné et atteint de folie.

Cette histoire devient rapidement populaire, d’abord adaptée en chanson elle se répand à travers l’archipel avant d’être transposée sur les planches du théâtre kabuki… devenant de ce fait incontournable, elle inspira beaucoup d’artistes de l’époque dont le romancier Ihara Saikaku (1642-1693) qui rédigera Wankyû issei no monogatari (Vie de Wankyû) ou le peintre Utamaro avec son estampe Wankyû et Matsuyama. Depuis, l’histoire continue de fasciner et fournira la matière de pièces de théâtre jôruri (spectacle de marionnettes ancêtre du bunraku), comme elle constitue le sujet de la très célèbre pièce de musique et de danse Ninin Wankyû, dans laquelle Matsuyama apparaît à Wankyû en songe. Cette figure à la fois tragique et haute en couleur de Wankyû est un symbole de la culture populaire de l’époque Edo.

Wankyû et Matsuyama de Kitagawa Utamaro – 1798
 

Le problème des conférences à la MCJP, c’est qu’aussi passionnantes soient elles, les places sont bien souvent très limitées. Alors, pour tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’assister ce week-end à la conférence et à l’initiation au nihon-buyô avec la danseuse Shimehiro Nishikawa, nous profitons de l’occasion pour vous présenter cette artiste incontournable de la scène japonaise, qui oeuvre depuis des années à en promouvoir la danse traditionnelle en France.

L’artiste Shimehiro Nishikawa (Aya Sekoguchi de son vrai nom) promeut en France le nihon-buyô, la danse traditionnelle japonaise issue du théâtre kabuki, au travers de ses diverses activités aussi bien artistiques (par ses représentations de danses), que par la formation pédagogique (cours de danse et d’habillement en kimono) ou la recherche (conférence, publications…). Son ambition, inspirée de sa recherche philosophique sur la danse, vise à créer une esthétique novatrice et interculturelle à travers un dialogue entre la tradition japonaise et l’art contemporain.

Shimehiro Nishikawa lors de la représentation “Shimehiro Nishikawa avec ses musiciens” en 2014 – Photographie de Patrick Berger

Biographie: Née à Fukuoka (sur l’île de Kyûshû au Japon), Aya Sekoguchi a commencé l’apprentissage du nihon-buyô à l’âge de 7 ans au sein de l’école Nishikawa. C’est en 1981 à Tôkyô, que maître Senzô Nishikawa Xe du nom, le directeur de l’école de danse et “Trésor national vivant”, lui a attribué le nom de scène de Shimehiro Nishikawa.

En 1998, Shimehiro Nishikawa s’installe à Paris afin d’apprendre la philosophie occidentale. Elle a approfondi sa réflexion philosophique sur le théâtre et la danse japonaise à la lumière des penseurs français tels que Deleuze, Bergson ou Merleau-Ponty dans un mémoire de D.E.A. (sous la direction deChristine Buci-Glucksmann). Elle poursuivra ensuite son interrogation sur le sujet dans sa thèse de doctorat dirigée par Augustin Berque, qui a été publiée sous le titre « La fleur et le néant – L’empreinte de Zeami dans l’art japonais » (2016), et qui lui permis d’obtenir la qualification aux fonctions de Maître de Conférences.

Shimehiro Nishikawa ne se contente pas de disserter au sujet de la danse, elle s’investit corps et âme pour son art, produisant également des spectacles en France et en Espagne (entre autres). Ceci l’a conduite à collaborer avec des artistes contemporains dans le court-métrage Labrys diffusé lors des Nuits Blanches de 2010. Puis elle réalise en 2011 une création résolument moderne et audacieuse Kabuki-kabuku ou danse traditionnelle côtoie musique électroacoustique et projection vidéo. Le spectacle a ensuite été présenté lors du Festival Son Miré en 2011, puis aux Journées Nationales de l’Electroacoustique au CRR d’Amiens en 2012.

Plus tard, elle met en scène la représentation “Shimehiro Nishikawa avec ses musiciens” qui eut lieu en avril 2014 à l’auditorium du Musée Guimet. Un spectacle qui revient sur les origines du Buyô, dans laquelle elle interprète les grands classiques de la danse Kabuki tels que Fuji-musume(1826) et Kyôkanoko Musume Dôjôji (1753). Afin de pouvoir monter un spectacle de qualité, elle n’a pas hésité à mettre en place un financement participatif via la plate-forme Kisskissbankbank, ce qui a lui permis de faire venir spécialement du Japon trois musiciens virtuoses membres du groupe TOU-ON-ka, spécialistes de la musique traditionnelle japonaise (chant et shamisen). En 2015 elle interprète le rôle de la danseuse Sada Yakko dans le film La Danseuse, qui a été tourné à l’Opéra Garnier, et dont la sortie est prévu pour la fin 2016.

Toujours portée par une démarche généreuse d’échanges interculturels, elle dirige actuellement l’Association Zea qui à pour objectif de promouvoir le Nihon-buyô ainsi que le port du kimono en France. Elle propose notamment des cours de danse traditionnelle japonaise et d’habillement dans le Marais, ainsi que des représentations pour divers événements et des spectacles d’élèves.

La danse de Shimehiro Nishikawa a quelque chose d’envoûtant qui nous plonge dès son entrée sur scène au cœur du folklore japonais et de ses mythes. Même si en France nous ne connaissons que peu les grands classiques du théâtre kabuki et ses personnages emblématiques, on est emporté dans cet univers au temps suspendu, et au fur et à mesure des mouvements de la danseuse l’on se surprenant à rêver d’un Japon ancestral dont on ignore tous les codes, mais dont on suppose déjà les enjeux. Bien que vêtue de lourds kimono, la danse de Shimehiro Nishikawa par sa fluidité de mouvements dégage une réelle impression de délicatesse et de grâce. Et malgré un visage impassible et tout de blanc fardé, c’est par le travail et l’expression du corps que l’artiste parvient à nous transmettre toute une palette d’émotions très intenses, qui nous fait prendre conscience que peu importe l’origine ou la culture, le langue du corps à quelque chose d’universel !

Shimehiro Nishikawa lors de la représentation “Shimehiro Nishikawa avec ses musiciens” en 2014 – Photographie de Patrick Berger
Et si l’on peut regretter de ne pas avoir pu assister aux événements de ce week-end, nous pouvons espérer qu’avec la volonté de faire connaître le nihon-buyô en France qui anime Shimehiro Nishikawa, nous aurons certainement d’autres occasions pour admirer les talents de l’artiste (dont nous ne manquerons pas de vous informer).

Et en attendant, nous vous proposons de faire plus amplement connaissance avec l’univers de la danseuse aux travers d’extraits de son spectacle“Shimehiro Nishikawa avec ses musiciens” et “Kabuki-Kabuku”