Déjà le mois de septembre, alors que certain rentrent de vacances, reprennent peu à peu le cours de leur vie, ou se lancent dans de nouvelles aventures… Il n’y aura pas de rentrée pour moi, tout comme il n’y a pas eu de vacances. Lorsque l’on est malade il n’y a pas de répit, la maladie ne se met pas soudainement en pause pour nous permettre de partir ne serait-ce que pour voir sa famille ou aller aux obsèques de son propre père…

Cela fait plus de deux ans que je suis tombée malade, le syndrome de malabsorption, la pancréatite et la candidose chronique m’ont peu à peu contrainte à mettre “ma vie en pause”, au fur et à mesure que je perdais du poids j’ai du apprendre à vivre quasiment recluse dans notre appartement… Mon corps n’ayant même plus la force d’assurer correctement tout seul ses fonctions premières, comme gérer la tension ou la glycémie… et sans aucunes réserves, au moindre effort je m’effondre.

Avant cela la vie n’était pas beaucoup plus simple, rythmée par les aléas multiples de ma maladie génétique le syndrome d’Ehlers-Danlos, mais au fil des ans j’avais appris à m’adapter et à vivre avec, ce qui me permettait d’avoir malgré tout une accalmie de temps en temps.

Dès lorsqu’il n’y a pas d’accalmie, “guérir” devient une quête et une lutte de tout les instants. C’est quelque chose que beaucoup de personnes en bonne santé ne comprennent pas, pour eux on voit un médecin, on prend un cachet, on va à l’hôpital, on jeune ou on mange des racines (suivant leurs convictions) pendant une semaine et c’est réglé.
Mais la vraie maladie, celle qui dure et contre laquelle on ne peut rien (en apparence)… fait peur. On préfère trouver des excuses au malade et le culpabiliser: “elle est déprimée”, “elle ne fait pas d’effort”, “elle est fragile”, etc, car derrière l’incompréhension résonne au creux de nos entrailles notre propre peur. Celle qu’on ne veut pas s’avouer, celle qui murmure que cela pourrait nous arriver à nous aussi sans prévenir, alors on détourne le regard, et l’on trouve des excuses pour se rassurer qu’à nous cela ne peut pas nous arriver… quoi de plus humain. Et puis la maladie qui s’éternise pose problème, car l’on ne sait pas se comporter face à ce genre de malade, quel soutient ou réconfort on pourrait leur témoigner… alors on s’éloigne.

Pour ma part ni pour ma maladie génétique, ni pour ma maladie digestive je n’attends de miracles, je sais très bien qu’il n’y en aura pas. Pourtant je continue à lutter de toutes mes forces pour vivre pleinement. Jour après jour je m’emploie à chercher les moindres petites choses qui pourront m’aider à stabiliser la maladie et à vivre au mieux avec.

Et c’est bien de cela qu’il est question, de la différence entre “guérir” et “être malade” (avec toute l’idée de passivité que ce terme de malade peut parfois contenir). On ne choisit évidement pas de tomber malade, et contrairement à certains je ne crois pas que toutes nos maladies sont uniquement psychosomatiques (pour ma part c’est la phrase la plus destructrice que j’ai entendue).

On a donc tous le droit d’être malade, et l’on ne doit pas négliger cette réalité. Mais l’on peut aussi choisir d’être le malade placide qui passera ses journées à attendre devant la télévision qu’un miracle se produise, ou l’on peut décider de se prendre en main et d’œuvrer soi-même à apprivoiser la maladie.

C’est donc pour ma part la deuxième option que j’ai choisie… même si chaque journée est devenue une véritable bataille !

Voici donc un petit exemple des différents plans sur lequel je m’efforce de travailler quotidiennement, pour ceux qui ne comprendraient pas pourquoi le blog manque de régularité, et pourquoi certains projets on été mis entre parenthèses cette année.

 

De l’alimentation :
Pour ma part, en raison de mes nombreuses pathologies digestives et intolérances, j’ai un régime alimentaire extrêmement strict, donc dès le réveil je commence à lutter contre les envies d’interdits, et dans un pays où la malbouffe tient encore une place importante il faut réussir à faire abstraction de publicités qui nous bombardent que ce soit sur YouTube ou Internet en général, à la télévision ou dans les magazines… il y a vraiment des moment très frustrants, notamment les jours de fatigue où la volonté est moindre (je me suis déjà retrouvée en larmes à l’évocation du mot sandwich).
Heureusement ma nouvelle alimentation n’est pas si dure tous les jours, j’ai non seulement la chance de pouvoir manger des aliments solides, mais aussi qu’Eloïc accepte de se plier à mes contraintes médicales, qu’il m’aide à cuisinier, à tester de nouvelles recettes, à explorer de nouveaux goûts.

Mais choisir de travailler à sa guérison ce n’est pas simplement suivre à la lettre les interdictions alimentaires, ou les prescriptions médicales, c’est aussi peser, calculer, surveiller… se poser quotidiennement des questions sur l’élaboration des repas pour veiller à apporter assez de nutriments divers et variés. C’est également devoir absorber un nombre incalculable de compléments alimentaires, à des horaires bien précis pour palier un tant soit peu à la malabsorption intestinale.

Évidemment tous ces compléments aussi performants qu’ils puissent être ne sont pas forcément reconnus par la pharmacopée (tout comme les rendez-vous médicaux aux honorais hallucinant) c’est donc aussi un budget conséquent. Ce qui veut dire en contre partie, beaucoup de privations pour pouvoir se soigner (attendre patiemment les événements comme Noël ou son anniversaire, pour pouvoir s’acheter de nouvelles aquarelles)…
Pourtant je m’estime heureuse de pouvoir malgré tout avoir accès à ce mode de traitement et de ne pas être hospitalisée.

De l’exercice et de l’hygiène :
Là encore je vais devoir faire des choix et négocier avec moi-même.
Si je choisis de faire ce qui est bon pour ma santé, comme pratiquer 10 minutes de marche, ou une séance de yoga doux, je sais que je serai dans un état de fatigue indescriptible, je ne pourrai pas me lever le lendemain matin avant midi, et je serai un zombie tout le reste de la journée, peut être même pour les jours qui suivent, selon l’intensité de l’exercice. Pourtant faire ces efforts contribuent aussi à l’entretien et à l’équilibre physique… Donc pour pouvoir prendre soin de mon corps, je dois accepter que cela implique je ne pourrai ni me consacrer à la peinture, ni la rédaction d’article, ni a quoi que ce soit d’autre dans les jours suivants.

Je dois aussi me faire violence pour me peser régulièrement, sans me laisser démoraliser par la balance les jours où elle m’indique un chiffre se rapprochant dangereusement des 35kg…

Enfin c’est également avoir un rythme de vie très minuté. Que ce soit pour les heures de sommeil , mais également pour les repas, afin de pouvoir me nourrir toutes les 3 ou 4 heures (et donc avoir une bonne réserve de tupperware au frigo préparés d’avance) et apporter assez d’énergie au corps qui ne dispose plus de ses réserves naturelles nécessaires à son bon fonctionnement.

Du développement personnel :
Il va de soit qu’il n’est pas facile tous les jours de garder le moral, lorsque l’on a l’impression de faire un pas en avant et deux en arrière sur le chemin de la guérison.

Il me semble donc primordial de consacrer du temps chaque matin à la méditation, et à la lecture d’ouvrages. Je lis aussi bien des livres techniques sur mes différentes pathologies afin de mieux les comprendre, de les apprivoiser que pour respecter leurs besoins. Ainsi que des livres de développement personnel, tout ce qui peut apaiser mon esprit et m’aider à trouver des pistes de réflexion, etc.
Parfois j’ai l’impression que ce moment où ma vie est en attente, devient un moment privilégié d’introspection. Lorsque l’on est malade notre stock d’énergie est si limité par le travail du corps qu’il est à mon avis inutile de gaspiller le peu qu’il nous reste à disposition, en se débattant avec des conflits intérieurs non réglés.

Enfin il faut apprendre à vivre avec la peur au ventre. Cette peur sourde et violente à la fois. Cette peur bien plus grande que celle que nous pouvons éprouver jour après jour depuis les attentats…. La peur des autres n’est pas comparable à la peur de soi. Ne pas pouvoir faire confiance à son corps est certainement le sentiment le plus déstabilisant qu’il est possible de ressentir. Avec le syndrome d’Elhers-Danlos et mes complications cardio-vasculaires, à n’importe quel moment mes soucis digestifs peuvent empirer, le corps peut me lâcher à nouveau et me renvoyer à l’hôpital, d’où cette fois je ne ressortirais peut être pas… Il faut apprendre à vivre avec l’ombre de la mort qui se tient constamment à mes cotés et cette peur là, il n’est pas évident de l’apprivoiser.

Du social :
Là encore, les choses se compliquent. Garder un lien social lorsque que l’on ne peut pas sortir de chez soi relève de l’exploit. Il faut donc apprendre à gérer la solitude. La vraie, celle que les réseaux sociaux ne peuvent combler. Il faut simplement accepter que les amis, les collègues ou la famille, se détournent très rapidement de toi quand tu n’as plus rien à leur offrir, et que tu n’es plus disponible au claquement de doigt, que ce soit pour participer à leurs shootings, ou pour tenir le bureau des doléances ouvert.

Même avec ceux qui font des efforts pour essayer de comprendre, il y a toujours des moments de décalage. Comment cela pourrait-il être autrement, ils vivent une vie tellement différente de mon quotidien. Alors quand les paroles deviennent  blessantes, j’essaie de relativiser en me disant que c’était seulement de la maladresse ou de l’incompréhension…

Mais jour après jour je dois choisir de ne pas me laisser affecter par les gens que je vois réussir autour de moi sur des projets que j’ai été contrainte d’abandonner à cause de la maladie, essayer de me réjouir des voyages fabuleux que vous faites à travers le monde, alors que moi je n’ai pas pu dépasser le coin de la rue et que je suis incapable de sortir Kotetsu. Je dois me contenter d’être celle qui prend des nouvelles des gens, mais à qui on n’en demande pas.

Je dois accepter cette nouvelle situation et ce corps squelettique dans lequel je ne me reconnais plus, sans me laisser déprimer par tout ce que j’ai perdu…

De la morale :
Enfin il faut se battre contre les moralisateurs.
Qu’ils se prétendent fondus d’alimentation, mais incapables de comprendre que chaque individu est différent et qu’une même alimentation ne convient pas forcément à toutes la population. Et qu’il y a donc des choix que nous devons faire pour notre santé, indépendamment de nos convictions morales.
Ou bien les fanatiques religieux, qui n’ont que la prière à la bouche…
Sans oublier les psychologues de comptoir qui te diront que si tu es malade c’est que tu es en conflit avec l’autorité parentale… (j’attends encore qu’il m’explique avec qui j’étais en conflit le jour de ma naissance pour développer une maladie génétique incurable… mais apparemment ce jour là je devais être très en colère !)

Bref là encore il faut lutter et passer outre ces remarques, pour ne pas se laisser entraîner dans la négativité.

De la lutte :
Bref vous l’aurez compris, même si j’ai édulcoré pour ne pas entrer dans les détails sanglants de la maladie, la quête de la guérison est un travail à temps complet ! Il me faut non seulement accepter que pour l’instant ma vie ne se définit qu’à travers l’image et le statut d’une personne handicapée et malade. Mais que pour espérer pouvoir un jour envisager une autre vie, je dois avant tout me “dévouer” à la maladie, sans me disperser, sans chercher d’échappatoires au travers de divers projets…
Cela ne veut évidement pas dire que je vais arrêter de peindre, ou que je ne recommencerai pas à écrire des articles dès que j’irai un peu mieux. Mais cela signifie simplement que je dois m’y consacrer uniquement quand le corps le permet, sans chercher à le pousser. Car mon travail premier est actuellement de tendre, à chaque seconde de mon existence, vers la restauration d’un équilibre qui me permettra de pouvoir enfin commencer à vivre avec la maladie, et non plus en dépit de celle-ci.